mardi 3 janvier 2012

Tsiganes – Le chant des Roma…..- (14) Fin

- 14 - La patte du hérisson
L’histoire a établi les Roma en tant que musiciens, mais la légende dit aussi un peu magiciens, et ils ont souvent été la cible de préjugés religieux, car on les accusait volontiers de sorcellerie. En réalité, ils sont plutôt herboristes ou naturopathes, et s’ils ont un temps recommandé de sucer la patte arrière d’un hérisson pour calmer les maux de dents, ils recourent plus généralement à des formules où interviennent les plantes. Ainsi, tout un chacun se doit de connaître la recette du tonique de l’âme, qui lutte si bien contre la peur, la mélancolie, la dépression, ou les chagrins, y compris ceux d’amour, et que l’on confectionne avec des feuilles et bourgeons de millepertuis cueillis dans les trois jours séparant le solstice d’été de la Saint Jean. Les Roma ont un profond et impérieux respect pour la création, pour la Terre mère et pour la vie sous toutes ses formes, aussi utilisent-ils toujours que la quantité de fleurs et feuilles, de racines ou de fruits réellement nécessaires. Si l’ensemble de la plante doit être cueilli, il faut en laisser une partie dans le sol, pour qu’elle pousse à nouveau. Et toujours, il faut la remercier pour le cadeau qu’elle apporte à l’homme et pour ses efforts à maintenir vivante la planète. Comme la cueillette de la vie, l’harmonie des funérailles fait elle aussi l’objet de rites précisément codifiés, où certains voyageurs viennent d’extrêmement loin pour partager les moments de deuil. Sans prendre de nourriture, la communauté veille le défunt pendant trois jours et trois nuits tandis que lamentations et pleurs ponctuent les histoires flatteuses que l’on s’ingénie à raconter à son propos, car on sait que son âme observe le comportement de chacun. Après les funérailles, la caravane du disparu est soit brûlée, soit vendue à un gadjjo, l’argent ainsi recueilli servant à payer la plus belle pierre tombale possible, les proches ne gardant en souvenir que de petits objets sans valeur. Ainsi l’histoire se vit-elle uniquement au quotidien pour ce peuple sans terre dont la connaissance du passé ne va pas au-delà des souvenirs du Rrom le plus âgé d’une communauté. Pour ces Tsiganes qui ne savent rien de leurs origines, chants et musiques, ignorant les époques révolues, expriment plaisirs et chagrins actuels, les égrenant au fur et à mesure pour les laisser s’envoler et se poser on ne sait où. Car à leur don inné pour la virtuosité se conjugue la contradiction qui coule dans leurs veines, celle d’une longue route dont ne résulte aucun livre d’histoire, d’une odyssée dans le temps où la musique s’inscrit en patrimoine génétique mais ne se libère que selon l’humeur du moment, et où s’impose l’évidence de sentiments que la logique voudrait inconciliables : une joie triste, une gaité mélancolique, une détresse joyeuse.

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