samedi 27 avril 2013

Camps de concentration (suite)





ARRIVÉE


Enfin nous arrivons à onze heures du soir par une nuit opaque. Vision d’horreur, vision d’épouvante, heures les plus pénibles de ma captivité. Cris de bêtes sauvages, aboiements sinistres. Qu’était tout cela ? La réception des geôliers escortés de leurs gros chiens loups admirablement dressés pour les seconder dans leur rôle de garde-chiourme. Effrayés, nos jambes se refusent à nous porter, nous ne pouvons plus avancer.

Le wagon a été ouvert brusquement et les S.S. sont montés, ils nous ont vidés à coups de crosse de baïonnette et à coups de bâtons en hurlant et ont lâché les chiens. Ceux qui tombaient et ne pouvaient plus se relever étaient lacérés par ceux-ci. J’avais une grande pèlerine, les chiens s’y sont accrochés, je la leur ai abandonnée.

On ôta des wagons les morts, les mourants et les bagages. Les morts, et par ce mot il faut entendre tous ceux qui étaient incapables de se tenir debout, furent empilés en un tas. Les bagages et les paquets furent rassemblés, les wagons de chemins de fer furent nettoyés afin qu’il ne restât aucune trace de leur horrible contenu.

Les S.S. tuèrent près du train la plupart des enfants. M.A. vit ses deux petits garçons s’affaisser à ses côtés. Des Français ont été abattus sur le quai de débarquement par les S.S. .

J’ai vu un S.S. prendre un gosse par les pieds et le jeter en l’air tandis qu’un autre tirait sur cette cible vivante. Plus loin un S.S. arrache un bébé des bras de sa mère et le déchire en deux en le tenant par une jambe et en maintenant l’autre sous le pied.

Un officier procède au triage ; il fait mettre tout le monde nu et demande le compte du « déchet ». Le « déchet » ce sont les morts. Il y en a 954.

Un transport comprenait 800 cadavres pour 2 500 déportés. Le transport avait fait d’abord 80 kilomètres à pied, puis avait été embarqué sur « trucks » dans lesquels ils avaient voyagé pendant huit jours.

Comme spectacle horrifiant, j’ai vu l’arrivée de transports venant particulièrement de Grosskoyn. Les détenus étaient partis au nombre de 3 000, ils avaient dû faire sans s’arrêter 60 kilomètres à pied, chassés à coups de bâtons sans avoir mangé. Au bout de 60 kilomètres, ils ont été hissés sur des « trucks » à 100 par véhicule, obligés de s’accroupir ; le premier qui se relevait était abattu à coups de feu. Ils ont voyagé ainsi sept jours et sept nuits. Ils sont arrivés avec 700 cadavres et 700 malades, qui, on peut dire, sont morts par la suite. Ils sont descendus du train et là, ceux qui n’ont pas pu marcher jusqu’au camp, ont été abattus.

Les plus grands transports de Français arrivèrent au camp en juin 1944. A ce moment j’ai vu des cadavres que je n’oublierai jamais. La brute nazie empilait dans des wagons 100 à 400 hommes. Je me souvenais de notre convoi où nous étions seulement 50 dans un wagon dans lequel nous ne pouvions plus bouger ni respirer et je me demandais comment des hommes pouvaient arriver vivants dans ces conditions. Ces personnes étaient toute mortes d’asphyxie, le visage complètement noir, les lèvres horriblement dilatées. Il y avait plusieurs camions de cadavres dans cet état, qu’il fut d’ailleurs impossible d’autopsier et qu’il fallut mener au crématoire tout de suite ; ils avaient encore tous leurs vêtements civils et portaient sur eux les photos de leur famille. On était en juillet 1944 et le four crématoire fonctionnait toute la nuit.

On sépare les femmes et les enfants les vieillards des autres déportés et nous n’avons plus eu de nouvelles d’eux. Je crois que ma femme faisait partie de ce tri est passée dans les chambres à gaz avec les autres.

Les prisonniers défilent un par un devant un S.S. qui, d’un geste du doigt, indique la direction qu’ils doivent prendre : à gauche, les hommes compris entre 20 et 45 ans  et les femmes jeunes, donc des gens capables de produire. A droite, tout le reste du convoi : femmes et enfants, vieillards, malades, les inutilisables, les bouches inutiles.

Nous fûmes conduits de la gare au camp à coups de crosse et sous la menace des chiens.

Malgré notre faiblesse nous dûmes faire les 5 kilomètres de la gare au camp à pied.

Les S.S. nous avaient volées au passage de la frontière nos chaussures. Aussi dûmes-nous faire le chemin qui nous séparait de la gare au camp pieds nus dans la neige et la boue.

A grands coups de poing dans le dos, à coups de pied, ces brutes nous somment d’aller rapidement et en silence. Aucun retard, aucune défaillance n’était toléré. Mes camarades déjà fatigués par le poids de leurs bagages sont terrifiés et presque sans vie devant les hurlements de cette double meute, les S.S. et leurs chiens.

La grande majorité des détenus était dans l’impossibilité de marcher. Tous ceux qui ne pouvaient marcher étaient laissés sur le bord de la route et on ne les a plus jamais revus. Je puis préciser cela d’une façon absolument certaine car j’étais employé à l’hôpital. Je n’ais jamais revu aucun de ceux que nous avons abandonné sur la route. Tout porte à croire qu’ils ont été supprimés.

Le trajet, il fallait l’effectuer en courant ; les vieux qui ne pouvaient pas courir tombaient et étaient achevés à coupes de crosse.

Quelques jours après, arrivage de 700 Russes dans le même état que les précédents. Ils sont affamés, on dirait de véritables bêtes. Ils sont gardés par les soldats allemands qui, pour la moindre chose, tirent.

Est arrivé au camp un convoi de Juifs de Budapest qui sont venus à pied dans la neige. N’ayant plus rien à manger depuis plus d’une semaine, n’ayant pas d’eau, ils mangeaient de la neige. A leur arrivée sur la place ils ont été rangés avec défense de s’asseoir et interdiction pour nous autres détenus du camp de les approcher. De temps à autre l’un d’entre eux tombait mort. Derrière cette colonne suivaient les camions de ramassage où s’entassaient plusieurs centaines de morts. On les déchargeait comme on aurait ait de barres de fer.

Des milliers de malheureux, poussés par des S.S. et leurs chiens, étaient morts de fatigue ou abattus comme des animaux sur la route dans la neige.

Avant d’entrer au camp, vérifications de la liste des détenus qui accompagnaient notre convoi : chaque prisonnier était appelé et devait donner son nom. S’il le prononçait à la française et qu’il était inintelligible pour les Allemands, il recevait un coup de matraque. Un  jeune S.S. de 17 ans qui venait de Transylvanie (dont j’ignore le nom) a cassé ainsi deux matraques sur le dos des arrivants.

Devant la porte et dans le couloir étaient postés des jeunes S.S. qui tapaient sur les arrivants soit avec la main, même avec la crosse de leur fusil, soit avec les pieds. Dans une sorte de vestibule étaient postés, visages contre le mur, une vingtaine de prisonniers. Par des vociférations et des coups, on faisait comprendre aux arrivants (Français, Russes, Polonais, Belges, Allemands, etc.) qu’ils avaient à prendre la même attitude que leurs devanciers. Gare à celui qui tournait la tête ou qui bougeait un peu. Les coups pleuvaient sur le malheureux qui, pour la plupart du temps, ne savait pas pourquoi il était battu. De temps à autre quelqu’un criait : « les suivants » (die nachsten).

Comme la plupart ne comprenait pas l’allemand, personne ne bougeait. Ceux qui devaient entrer au bureau étaient alors battus à outrance. Beaucoup tombaient et étaient malmenés à coups de pied. Cela continuait à l’intérieur du bureau … j’étais plus mort que vivant lorsque vint mon tour d’entrer.

Deux géants fouettaient avec des courroies de cuir les détenus au fur et à mesure de leur entrée

Pour ma part j’ai eu trois dents arrachées et la lèvre ouverte par un sous-officier S.S. dont je ne connais pas le nom.

Au camp même nous commençâmes à être frappés dès l’arrivée.

Le nombre des geôlières augmente ; les mauvais traitements vont de pair. C’est à celle qui frappera le plus fort, bousculera le plus sauvagement.

Il faisait presque nuit. Nous devons marcher en colonne par trois et au pas pour faire les 100 mètres qui nous séparaient de notre baraque. Nous étions entourés par les S.S. Lorsqu’il y avait quelqu’un qui ne marchait pas au pas ou qui sortait un peu du rang, ou qui tournait la tête, il était battu soit avec la crosse du fusil, soit à coups de pieds. Arrivés devant notre baraque, on nous dit de rentrer dans la cellule n°4. C’est encore à grands coups qu’on nous fit trouver notre cellule qui ne portait pas de numéro.

Les jeunes filles flagellées. Elles reçurent 30 coups de cravache sur les fesses nues. L’opération se fit en présence du chef du camp, d’un médecin et de la gardienne chef.

Dès l’arrivée au camp, immatriculation par tatouage sur l’avant-bras gauche.

On me marqua un chiffre au fer rouge.

Nous perdions toute personnalité, nous devenions un numéro.

Les enfants et les nourrissons eux-mêmes étaient tatoués.

En arrivant au camp, les Russes ont trouvé un nourrisson de deux semaines portant un numéro matricule.

Pour la désinfection, c’était  le déshabillage complet. On visitait les oreilles et toutes les parties du corps pour voir s’il n’y avait pas quelque chose caché. On passait dans une première chambre : épilation complète au rasoir électrique et à la tondeuse.

Aucune partie velue du corps n’échappait au rasoir.

Vous assistiez impuissante à la disparition totale de votre chevelure sous la tondeuse.

En général, 7 femmes sur 10 tondues, on ne savait pas pourquoi, c’était une moyenne à eux.

Ur les 964 femmes de notre convoi environ 600 ont été tondues. Cela se faisait au hasard, sans aucune discrimination.

Lorsqu’on nous tondait, on nous donnait une explication rassurante : les textiles animaux sont plus chauds que les textiles végétaux, alors rassurez-vous, rien n’est perdu, l’industrie allemande récupère tout ; avec vos cheveux nous ferons des couvertures, des vêtements de S.S., etc. En effet, alors que nous n’avions rien à nous mettre, les chiens S.S. portaient des manteaux (avec l’inscription S.S.) qui étaient souvent faits avec nos chevelures.

On nous faisait ensuite passer dans une seconde chambre qui était la douche, on nous plongeait dans une immense baignoire remplie d’une solution à base de phénol. Les gens trop fatigués mourraient à la sortie de cette baignoire car l’opération était très pénible ; d’autres tombaient en syncope et ne se relevaient plus.

Au moment du passage à la baignoire, j’ai vu un vieux Français qui avait été sorti du wagon par ses camarades, traîné ensuite au déshabillage et à la tondeuse puis à la douche. Là, deux brutes lui ont donné des coups de poing. Puis, pris par les épaules et par les pieds, il fut balancé dans la baignoire où il est mort. Il fut ensuite jeté dans un coin.

Brutalement, elles nous poussent vers une grande salle destinée aux douches. Là nous passons par cinq et chacune à notre tour nous sommes fouillées très profondément. Je dis bien « profondément » car c’est jusqu’aux profondeurs du vagin qu’on nous visite Les femmes S.S. pratiquent le toucher vaginal de l’une à l’autre sans se laver les main, même sur les toutes jeunes filles, en présence des S.S. hommes et les chiens qui bondissent sur les prisonnières nues quand elles bougent.

Les Allemand faisaient des fiches  pour chacune de nous et ils inscrivaient des maladies qui n’existaient pas. Moi, par exemple je figure comme pulmonaire et cardiaque alors qu’aujourd’hui, après tant de souffrances : typhus, double pneumonie, etc. les examens récents que je viens de faire révèlent que mes poumons sont en parfaite santé alors qu’au cœur je n’ai qu’une faiblesse due au régime subi les 4 années ½ de détention dont deux ans en Allemagne. Les Allemands procédaient ainsi afin de pouvoir justifier un jour d’une mort survenue naturellement.

On nous dépouille de nos vêtements et de tous objets personnels. Rien ne doit rappeler notre chez nous.

Puis nous fûmes habillés avec des haillons (occasion naturellement de nous voler nos vêtements) et, enfin chaussés de claquettes, soit d’une des choses les plus infernales du camp. Ces claquettes composées d’une semelle de bois de buis (puis ensuite en bois de hêtre) et d’une simple bande à l’extrémité du pied pour les maintenir, obligeaient ceux qui les portaient à lever les pieds assez hauts à chaque pas.

Très souvent, lorsque les convois arrivaient, le camp était surpeuplé. Il n’y avait donc pas de place pour recevoir les nouveaux arrivants. Les détenus devaient attendre deux ou trois jours leur admission dans les blocks. Ils restaient dehors sans nourriture car ils ne faisaient pas partie de l’effectif du camp tans qu’ils n’étaient pas affectés dans les blocks. Le résultat d’une telle attente était la maladie (pneumonie, bronchite, etc.) d’un grand nombre de détenus.

Nous avions été parqués dans une tente à mille deux cents, et un soir j’ai voulu avec un de mes camarades, M.P.S. de Paris, en mesurer la superficie : nous avons trouvé que cette tente avait 25 mètres carrés. Nous devions naturellement nous tenir plus ou moins debout, et finissions par tomber les uns sur les autres.

Nous sommes restés une dizaine de jours à coucher sur la terre mouillée sans couverture, sans paille et, évidemment, sans feu. En novembre 1939 après la campagne de Pologne, environ 2 000 P.G. polonais sont arrivés au camp. Sous prétexte d’épouillage, ils ont été déshabillés complétement par un froid rigoureux (12° en dessous de zéro) et parqués dans un petit rectangle entouré de barbelés ; leurs effets furent incinérés. Ils recevaient pour toute nourriture 1/10ème de boule de pain par jour. Au bout de trois semaines, il n’en restait plus qu’une dizaine. Tous les autres sont morts de froids et de privations.

A suivre

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